Nous publions ici l‘introduction pour l’étude de la cosmographie, faite par M. Reynaud, dans la séance d’ouverture du cours de sciences naturelles :

Mesdames,
Messieurs,

Les soirées du cours de sciences naturelles, dont nous commençons la troisième année, doivent être pour chacun de vous un délassement, un repos après les labeurs et les préoccupations du jour. Or, quel sujet pouvait mieux offrir un intérêt sérieux, élevé, et en même temps cet attrait pour tous, que l’étude de ce monde dont notre terre fait partie ? C’est un voyage dans le domaine du Soleil, une excursion dans le champ de l’espace, où se meuvent les planètes, sœurs de la nôtre, que je propose cet hiver à votre attention bienveillante.
Notre programme sera limité à ce champ bien restreint et pourtant immense : le monde solaire ! A un milliard de lieues de son centre, le Soleil, sont les confins de ce monde. Un milliard de lieues, tel est le rayon que nous avons à parcourir !
Un milliard de lieues, et cette distance n’est rien, si on la compare à celle des autres soleils, les étoiles, dont le Créateur a peuplé l’infini !
Mais nous ne dépasserons pas cette distance ; nous ne quitterons pas ce monde, qui est le nôtre ; nous visiterons successivement, dans l’ordre de leur éloignement du centre, tous les membres de cette famille du Soleil, nous arrêtant comme à autant de stations ou d’étapes, à chacune de ces planètes, qui lui font, avec notre terre, cortège dans les cieux !
Permettez-moi, ce soir, de vous présenter l’ensemble du monde solaire, de faire paraître rapidement devant vous les astres qui le composent.

C’est d’abord le Soleil, - à tout seigneur tout honneur. – N’est-il pas le centre vivifiant du système, le radieux foyer qui retient dans son attraction puissante les membres de la famille ?
Globe de plus d’un million de lieues de tour, qui tourne sur lui-même en un peu plus de 25 jours, comme notre terre tourne sur elle –même en 24 heures.
Nous sommes à 37 000 000 de lieues de lui et il veut en volume plus de 1 200 000 terres comme la nôtre !
Quel intérêt s’attache à l’étude de ce globe immense ! Aujourd’hui la science a réuni tant d’observations, a groupé tant de phénomènes merveilleux qui se passent à sa surface, que nous pouvons pénétrer le mystère de sa constitution physique, et forcer notre flambeau lointain à nous livrer un peu le secret du feu qui l’embrase.
On remarque sur le Soleil un océan de matières enflammées, une atmosphère ardente d‘hydrogène, de ce même gaz qui brûle pour éclairer cette salle. On y voit naître et se développer des nuages de fer volatilisé, des tourbillons de vapeurs de magnésium, de sodium, ce métal qui se trouve dans notre sel de cuisine !
L’analyse spectrale a révélé dans les matériaux du Soleil les mêmes éléments – peut-on s’en étonner ? – les mêmes éléments qui forment notre habitacle terrestre !
Les admirables phénomènes observés pendant les éclipses totales, les taches, les protubérances nous font assister à des tempêtes d’une violence que nous ne saurions dépeindre, à des cyclones embrasés, dont la surface de l’astre radieux est incessamment le théâtre. Grâce au télescope, nous assistons à l’explosion des masses qui se tordent, s’élèvent, retombent en larmes de feu !
L’étude du Soleil nous occupera pendant les deux prochaines séances. Puis nous commencerons notre voyage dans l’espace. Quittant le centre, nous apercevrons d’abord Mercure, planète toujours plongée dans les rayons du foyer solaire.
Visible seulement peu avant le lever, ou peu après le coucher du soleil, nous y remarquons cependant des phases, des montagnes, une atmosphère.
Puis nous observerons, gravissant sur une route plus éloignée du Soleil, la belle planète Vénus, que les anciens appelaient Vesper ou Lucifer, selon qu’ils la voyaient briller le soir ou le matin.
Vénus est presque du volume de la Terre ; c’est vraiment sa sœur jumelle. Elle tourne sur elle-même en 23h. 21m. Ainsi, ses jours sont de 39 minutes plus courts que les nôtres – son année est de 225 jours. – Nous observerons sur ce globe des montagnes, une atmosphère, des saisons très accusées, à cause, comme nous le verrons, de la grande inclinaison, par rapport au Soleil, de son axe de rotation. Nous serons retenus un moment par les observations de ses passages devant le disque du Soleil et nous suivrons l’émouvante odyssée des dangers affrontés, des difficultés vaincues par les intrépides explorateurs qui allèrent observer ces phénomènes dans les pays lointains, et nous applaudirons à leurs courageux travaux.
Quittant Vénus, nous rencontrerons la Terre, nous étudierons ses mouvements, causes des jours et des saisons. Nous la suivrons dans l’espace éthéré, dans sa course autour du Soleil avec la vitesse de plus de 25 000 lieues à l’heure !
Puis nous porterons notre attention sur la fidèle compagne de la Terre, sur son satellite, la Lune, qui, tournant à une distance de 96 000 lieues, nous montre toujours le même hémisphère.
Sur cette moitié, seule connue de nous, nous constaterons l’absence d’atmosphère. Nous suivrons du regard la structure curieuse de ses montagnes, de ses volcans éteints, aux cratères béants.
Nous arriverons ensuite à la planète Mars, plus petite que notre terre, bien qu’elle tourne plus loin du centre-foyer. Sa rotation nous montrera une durée du jour de 24 heures 39 minutes – une demi-heure environ de plus que les nôtres. – Sur son globe, qu’entoure une atmosphère, nous pourrons suivre l’amoncellement, sur chaque pôle, des glaces que les hivers de Mars y déposent tour à tour, et même, sur sa carte, dressée par M. Proctor, suivre les limites de ses continents et de ses mers.
Après Mars – toujours dans l’ordre de la distance au Soleil, - nous aurons à fixer notre attention sur un essaim de plus de 160 petites planètes, nommées à cause de leur petitesse, Astéroïdes ou planètes télescopiques parce qu’on ne peut les apercevoir sans le secours d’un instrument. Quelques-uns de ces petits astres couvriraient à peine la surface de notre France, qui n’est cependant elle-même que la millième partie de la surface terrestre.
Ayant étudié comment on parvient à découvrir ces astéroïdes, nous aborderons l’important Jupiter. Il nous montrera son globe que 1200 terres comme la nôtre ne suffiraient pas à former. Il nous étonnera par la prodigieuse rapidité de sa rotation, qui fait passer sous nos yeux, en moins de dix heures, son immense ceinture tout entière.
Il nous émerveillera par le spectacle de ses quatre satellites, tournoyant sans cesse autour de lui. Son atmosphère nous sera révélée par les bandes de nuages qui s’amassent sur son équateur comme sur le nôtre. Son axe, à peine incliné, nous indiquera des saisons par tranchées, modifiées encore par sa grande distance du Soleil.
Avec Uranus, - découvert par Herschel en 1871 – et Neptune – que Le Verrier trouva il y a trente ans, par le calcul, par la seule puissance de l’analyse mathématique, - nous arriverons aux limites connues du système, à ces confins de notre monde, où tournent avec nous, à un milliard de lieues du centre, ces derniers membres soumis à la puissance du souverain foyer !
Est-ce tout cependant ? Non. Il nous faudra encore rallier les enfants vagabonds de la famille solaire : les Comètes. Il nous faudra suivre ces astres chevelus dans leur course à travers notre monde, les uns soumis à une régulière périodicité, les autres, comme la belle comète de 1858, s’approchant du foyer jusqu’à s’y brûler presque, puis plongeant, sans retour peut-être, dans l’espace infini.
Enfin la Lumière Zodiacale, qui entoure d’une lueur indécise les radieux effluves du Soleil ; les Bolides, les Aérolithes, - que sans cesse la terre rencontre sur sa route et qu’elle entraîne dans sa sphère d’attraction, - viendront compléter ce tableau du monde solaire qui doit faire l’objet de nos soirées de cet hiver.